L’histoire dite des « Enfants de la Creuse » nous ramène quelques cinquante ans en arrière quand des enfants réunionnais ont été transplantés dans 83 départements (dont 10% dans la Creuse) par les autorités françaises au prétexte de repeupler les départements ruraux métropolitains et d’apporter une solution à la pauvreté et à la surpopulation de l’Ile de la Réunion.
Entre 1963 et 1984, ce sont donc quelques 2015 mineurs réunionnais qui ont été transplantés par les services sociaux de La Réunion en métropole. Déclarés pupilles de la nation, beaucoup avaient en réalité des parents à qui les services sociaux ont fait signer des déclarations d’abandon de leur propres enfants. Les parents sont la plupart du temps illettrés et font partie des familles les plus pauvres de l’Ile. A cause de ce mensonge institutionnalisé certains enfants ne reverront jamais leur île alors qu’ils étaient supposés partir étudier en France et revenir régulièrement pour les vacances…
Comment ces personnes qui ont aujourd’hui entre 50 et 70 ans – pour celles qui ne sont pas décédées ou qui ne se sont pas suicidées – tiennent-elles debout ?
Comment les plus jeunes qui ont été exilés au milieu des années 70 afin d’être adoptés en métropole dans des familles qui la plupart du temps se sont montrées aimantes, ont-ils découvert leurs origines et retrouver des membres de leur famille biologique ?
Comment se passent les retrouvailles avec les membres de leur famille biologique que certains rencontrent pour la première fois en France métropolitaine ou à La Réunion ?
En avril 2018, une commission parlementaire a rendu un rapport d’étude au Ministère des Outre-Mer précisant que sur les 1800 ex-mineurs réunionnais aujourd’hui vivants, seules 150 personnes sont connues et savent qu’elles font partie de cette politique de migration forcée. Il est fort probable que la grande majorité des 1650 autres personnes ne se manifestent pas tout simplement parce qu’elles méconnaissent leur statut…La reconstruction de cette page de l’histoire de France ne ferait-elle ainsi que commercer ?
© Corinne ROZOTTE / Divergence
Jean-Lucien Herry, 47 ans, exile a l age de 3 ans pour être adopté dans les Yvelines en 1973. Jean-Lucien est une des rares personnes a temoigner d une adoption reussie et privilegiee. En effet, ses parents adoptifs se sont montres particulierement aimants et attentifs a son education. Il a donc aujourd hui d excellents rapports avec eux. Pour autant, ils pensaient avoir adopte un orphelin alors que les parents biologiques de Jean-Lucien etaient bien vivants... Il retrouvera sa mere biologique a Bourg en Bresse en mars 2017 avec ses 7 autres demi freres et sÅ"urs et son pere biologique a La Reunion en decembre 2017. Xmp.xmp.Rating XmpText 1 3
Valérie ANDANSON Placée à la pouponnière de la Providence de Saint-Denis de La Réunion, puis exilée à Guéret en 1966, à l'âge de 3 ans. Valérie est ensuite envoyée dans une famille d'accueil de la Creuse où, 4 années durant, elle est maltraitée par son tuteur. Elle se rappelle alors ne se sentir protégée des violences que sous la table, son refuge. A l'école elle est marquée par le racisme des autres enfants, « on me traitait de négresse, de blanche neige », tandis que sa famille d'adoption ne reconnaissait pas ses origines réunionnaises, « j'étais juste bronzée, comme papa en été » ! A l'âge de 16 ans, elle prend connaissance de son véritable patronyme, Marie-Germaine Perigogne. Ce n'est qu'en 2017 qu'elle obtient enfin son certificat de naissance prouvant qu'elle est bien née à La Réunion et non dans la Creuse. « J'ai tout en double dit-elle : nom, prénom, acte et lieu de naissance, pièce d'identité, j'ai même été baptisée deux fois ! » Son combat personnel d'aujourd'hui: « redevenir réunionnaise et récupérer mon véritable nom sans mettre de côté mon passé creusois malgré toutes ces années de mensonges » résume-t-elle. Secrétaire et chargée de communication de la FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des DROM (Départements et Régions d'Outre-mer), elle se bat depuis cinq ans pour la reconnaissance de l'ensemble de ses compatriotes exilés de force.
Marlène MORIN Exilée au foyer de l'enfance de Guéret en 1966, à l'âge de 16 ans. Nous sommes en 2017 et à 67 ans, Marlène (à gauche sur la photo) revient pour la première fois à La Réunion où elle retrouve sa sÅ"ur cadette qu'elle n'a pas vu depuis 52 ans ! Orpheline de sa mère décédée de la tuberculose à l'âge de 31 ans et violentée par un père alcoolique, Marlène a été placée avec ses frères et sÅ"urs au foyer Marie Poittevin de la Plaine des Cafres puis envoyée dans la Creuse. Son rêve était d'entrer dans l'armée, au lieu de quoi les services sociaux l'obligeront à passer un certificat agricole : « On voulait faire de nous des paysans. Le pire c'est qu'on nous a obligé aussi à ne plus parler notre langue maternelle, le créole ». Tout au long de sa vie, Marlène exercera différents métiers (employée de service chez un médecin, employée dans un supermarché, etc.) voyant ses ambitions s'envoler en fumée. Elle ne parle de son passé à ses quatre enfants que tout récemment. Elle s'en explique: «On nous a appris à mentir, déjà tout petit, on nous a dit qu'on allait faire des études en métropole, c'était des bobards » !
Marie et Serge TETRY C'est suite au décès de leur mère à l'âge de 39 ans que les deux frère et sÅ"ur sont exilés en métropole. Marie, en 1965 à l'âge de 15 ans à Pau et Serge en 1966 à l'âge de 13 ans dans le Cantal. A 18 ans, Marie vit dans un foyer de Pau. Déracinée, elle fait une tentative de suicide. Un médecin demande alors son rapatriement d'urgence à La Réunion. En vain, les services sociaux n'entendront pas cette détresse et Marie ne retournera pas sur son île. Pire, elle commettra une deuxième tentative de suicide. « Tous les jours que faisait le bon dieu, je n'étais pas chez moi, nous dit Marie. J'avais le cafard. Je ne suis de nulle part, ni de la Réunion, ni de France. Je lis dans les livres pour raconter aux gens qui me demandent mes origines ». Marie a travaillé toute sa vie dans l'hôtellerie. Son mari décédé, elle vit maintenant seule dans leur maison près de Pau mais ne se sent toujours pas à sa place : « Le matin, je me lève, je me dis « mais qu'est-ce que tu fais là dans ce coin où tu n'as pas de famille, où tu n'as personne » ? Pour Serge, les malheurs commencent à La Réunion dans le foyer d'Hell-Bourg où il est placé à 12 ans et où, comme ses camarades, il subit des violences. « On a eu des fessées déshabillées devant tout le monde à coups de trique. Les moniteurs, ils s'amusaient sur nous, ils nous frappaient ». Arrivé en métropole, il est placé à Pau au foyer du Joyeux Béarn. Serge ne parle pas encore bien le français et on lui interdit de parler créole avec ses compatriotes. Il fugue souvent. A 15 ans, il est placé dans une ferme du Cantal. « La vie était dure, se rappelle-t-il, lever 5h du matin, aller traire les vaches, je sortais le fumier avec une brouette très lourde...Comme je me rebellais beaucoup, on m'a envoyé dans un collège d'agriculture, mais c'était pas mon job ça ! » Les services sociaux, l'envoient alors dans une maison de c
Jean-Lucien HERRY Ici, avec ses parents biologiques. Exilé à l'âge de 3 ans pour être adopté dans les Yvelines en 1973. Jean-Lucien est une des rares personnes parmi les enfants exilés de La Réunion à témoigner d'une adoption réussie. Ses parents adoptifs se sont montrés particulièrement aimants et attentifs à son éducation. Pour autant, ceux-ci pensaient avoir adopté un orphelin alors que les parents biologiques de Jean-Lucien étaient bien vivants... Suzette, la mère biologique de Jean-Lucien qu'il a retrouvé en 2017 à Bourg-en-Bresse avec 7 demi-frères et sÅ"urs. Elle décèdera en 2018, à l'âge de 63 ans, laissant peu de temps à son fils pour la connaître. Suzette n'a que 13 ans quand elle accouche de Aimé, Jean-Lucien. Sa situation précaire l'empêche de lui donner une éducation et de le nourrir. Plus tard, c'est une de ses sÅ"urs ainées, avec une situation de vie plus confortable qui la fera venir en métropole. Toute sa vie, Suzette est restée illettrée et ne parlait que le créole. Décembre 2017, Saint-Denis de La Réunion. Jean-Lucien, 47 ans, rencontre Ferdinand, son père biologique, pour la première fois. D'abord sur ses gardes, ce dernier se montre finalement très ému de ces retrouvailles. Il confie avoir voulu récupérer son fils encore bébé à la pouponnière de la Providence de Saint-Denis, sa grand-mère aurait alors pu le prendre en charge. En vain, Jean-Lucien étant déjà destiné à une procédure d'adoption en métropole. En N&B, photographie de Jean-Lucien enfant prise par les services sociaux à la pouponnière de Saint-Denis de La Réunion, en vue de sa future adoption.
Lise-May PAYET Exilée en 1969 au foyer de l'enfance de Guéret à l'âge de 16 ans. Lise-May se rappelle qu'à Cilaos à La Réunion, elle a 11 ans quand une assistante sociale vient les chercher elle et son demi-frère dans une 2 CV grise. Ils sont alors séparés. Elle est placée au foyer Marie Poittevin de la Plaine des Cafres ; 5 ans plus tard, elle est transférée au foyer de l'enfance de Guéret. Elle a alors 17 ans et est aussitôt placée dans une famille d'agriculteurs où « le monsieur regardait sous mes jupes et me demandait de monter à l'échelle » se souvient-elle. Elle sert de « bonne à tout faire » et travaille en plus pendant 6 ans comme ouvrière dans une usine de confection de Boussac sans jamais être rémunérée puisque c'est sa famille d'accueil qui gardera la totalité de l'argent. Lise-May raconte qu'elle était « un peu sauvage » et que « c'était très dur » car elle ne savait pas bien lire ni parler français. Depuis, elle est retournée à La Réunion où elle revu sa mère pour la première fois en 2011. Quant à son père, elle le voit pour la première fois en 2001, elle a alors 48 ans. « En tout, je l'ai vu pendant 8 jours de sa vie », regrette-t-elle. Il décèdera en 2009. Jessie MOENNER Exilée dans le Gers en 1967, à l'âge de 11 ans. Enfant, Jessie vit avec son frère et sa sÅ"ur chez leur grand-mère maternelle dans un quartier pauvre du Port. Leur mère, « bonne à tout faire chez les blancs » venait leur rendre visite quand elle le pouvait. Un jour de 1966, Jessie est enlevée dans la rue par les services sociaux et est placée dans un orphelinat à Saint-Gilles. Deux ans plus tard, c'est l'adoption, avec son frère et sa sÅ"ur, dans une famille du Gers. Commencent des années de maltraitance : ils sont traités de « petits bicots », doivent se laver à l'eau froide, leur mère biologique est qualifiée de « putain ». Plus grave : le père adoptif se livre à une agressio
Daisy JAMAIN Suite au décès de ses parents, Daisy est placée avec une de ses trois sÅ"urs au Foyer Marie Poittevin de la Réunion, puis exilée en 1968, à l'âge de 13 ans dans un foyer de Loire Atlantique tenu par des religieuses. Ballotées de familles d'accueil en familles d'accueil, les deux sÅ"urs ne seront pas adoptées car elles sont considérées comme « trop grandes ». Parmi la fratrie de Daisy, il y a cette « petite sÅ"ur », Bénédicte, que Daisy a recherché depuis son adolescence jusqu'à la retrouver 50 ans après, grâce à l'aide de la presse et d'un généalogiste. Nous sommes le 07 aout 2021 à Nantes (photo). Anne-Marie, une autre soeur est venue aussi spécialement de Martinique pour l'accueillir. Avant ce jour, Bénédicte qui avait été placée à l'âge de 9 mois à la pouponnière de Saint-Denis de La Réunion pour être adoptée par un couple de métropolitains, ne savait pas qu'elle avait des sÅ"urs dont Daisy qui vivait à moins de 200 km de chez elle ! Ce n'est qu'en 2019, durant un séjour à La Réunion, que Daisy a appris qu'elle faisait partie des Enfants dits de la Creuse. Parmi eux, beaucoup de fratries ont été séparées arbitrairement par les services sociaux. « C'est dur parce que je n'ai jamais joué à la marelle avec ma petite soeur » conclut Daisy dans un sanglot.
Guyto Carolio - Marie Celine Velprat - Marie Jocelyne Leste - Paul TECHER ADVAYANANDA
Pascale Statuto - Maryse Ferragut - Nicole Virginie Lagrave - Celine Marcou
Alix CAIL Décédé en août 2018 à l'âge de 66 ans. Ce portrait d'Alix a été réalisé en décembre 2017 à Saint-Denis de la Réunion, à proximité de la maison de retraite dans laquelle Alix vivait depuis quatre ans, où il était soigné pour les séquelles d'une méningite qui l'avait laissé dans le coma pendant six mois. C'est sa fille qui s'occupait de lui. Né de père inconnu et suite au décès de sa mère en 1961, Alix avait été placé à l'âge de 8 ans, au foyer de l'APEP (Association des Pupilles de l'Ecole Publique) de Hell-Bourg à La Réunion. Il avait ensuite été exilé en 1964 à l'âge de 12 ans à l'orphelinat Saint-Jean d'Albi d'où il avait été placé dans une famille d'accueil. Se retrouvant totalement coupé de sa famille biologique, il enchainera les petits boulots et reviendra vivre à La Réunion en 1997.
Jean-Thierry CHEYROUX Exilé en 1967, à l'âge de 7 ans, dans le Gers. Jean-Thierry vit avec ses deux sÅ"urs chez leur grand-mère dans un quartier pauvre du Port quand ils sont enlevés dans la rue par les services sociaux avant d'être exilés en 1967 - Jean-Thierry a 7 ans - au foyer de Saint-Clar dans le Gers. Les trois enfants sont rapidement adoptés par une famille d'enseignants à Auch. Mais le père se montre violent et oppressif. 50 ans plus tard, Jean-Thierry garde encore sur la main gauche la marque de la règle en bois avec laquelle cet homme le frappait. Sa mère adoptive, dépassée par la situation, divorce. Jean-Thierry arrête alors ses études et part en apprentissage de boulangerie. Il fait plusieurs petits boulots avant de s'affirmer aujourd'hui comme développeur commercial. « On nous a dit qu'on était enfant abandonné. Enfant quand on te dit ça, tu as de la culpabilité, tu te demandes pourquoi on t'a abandonné et tu grandis avec une certaine honte ». Aujourd'hui, il n'a pas retrouvé son dossier de la DDASS qui aurait pu lui apporter des réponses. Jean-Thierry ne sait pas qui est son père biologique, quant à sa mère, elle est déjà décédée. En 2019, il est retourné vivre à La Réunion et se sent « beaucoup plus serein ». Mais, bien des choses ne se rattrapent pas : « Je pensais retrouver des souvenirs, des sensations par rapport aux odeurs. Mais tu ne retrouves rien en fait. Le passé c'est le passé ».
René FONTAINE Exilé en 1966, à l'âge de 12 ans, dans la Creuse. René a 6 ans quand, avec son frère et sa sÅ"ur, ils perdent leur mère. C'est leur tante qui les prend en charge, avant d'être placés par les services sociaux au foyer de l'APEP à Hell-Bourg. René se rappelle leur père alcoolique qui ne s'occupait pas vraiment d'eux. Arrivé en Creuse, il vit jusqu'à ses 20 ans au foyer de Guéret. Là, à cause d'une lettre envoyée à une amie, René se rappelle avoir été « tabassé à coups de pieds et de poings dans le bureau du directeur. Ce jour-là, ça m'a détruit », résume-t-il. A la même époque, placé chez des paysans de la région, René refuse d'accomplir les tâches agricoles qu'on lui demande. Il se rappelle de ces agriculteurs qui «ne savaient ni lire, ni écrire », alors qu'on lui avait fait croire en quittant La Réunion qu'il allait faire de « bonnes études ». « On nous a mis entre les mains de personnes qui n'étaient pas compétentes pour accompagner des enfants » dit-il et ce qu'il reproche finalement aux services sociaux de l'époque c'est « de ne pas avoir protégé les enfants, et en réalité de les avoir envoyé à l'abattoir » Aujourd'hui, René, dit « Timoineau », sportif et passionné de trail, est retourné vivre à La Réunion.
Jacques DALLEAU Exilé au foyer de l'enfance de Guéret en 1966 à l'âge de 13 ans, puis placé dans une ferme de la Creuse où il sera exploité comme garçon de ferme et maltraité pendant un an. Il décide alors de partir pour retourner au foyer de Guéret qu'il devra à nouveau quitter pour une autre ferme où il est forcé de travailler 7 jours / 7 sans relâche, sans ménagement et sans reconnaissance. Ce n'est que quand il revient à Guéret pour suivre son apprentissage aux espaces verts que sa vie commence à s'améliorer. Il y travaillera comme jardinier et agent de service à l'hôpital jusqu'à sa récente retraite.
Jean-Philippe JEAN-MARIE Exilé au foyer de l'enfance de Guéret en 1966, à l'âge de 11 ans. A Saint-Denis de La Réunion, en 1965, Jean-Philippe a 9 ans et demi. Son père est en prison, sa mère fait des ménages. Après une bagarre avec d'autres enfants, il est étiqueté « enfant à risque ». Il est alors placé au foyer de Hell-Bourg où il subit plusieurs passages à tabac, jusqu'au viol. « Pour nous, ça a été l'enfer, comme en prison, si tu voulais que les grands te défendent il fallait donner ton goûter » se rappelle-t-il. Quand on lui propose de partir en métropole il y voit comme une délivrance, le seul moyen de quitter ce « foyer de l'enfer ». Sa mère, ne sachant ni lire ni écrire, acceptera de « mettre les pouces », autrement dit de signer un certificat de séjour en métropole pour son fils tandis que les services sociaux lui font croire qu'il ira dans les meilleures écoles et reviendra la voir tous les ans. Jean-Philippe devient alors pupille de l'Etat. A Guéret, il est placé en apprentissage dans une boulangerie où il travaille gratuitement de 14 à 21 ans. Les liens avec sa famille sont sciemment coupés, les éducateurs l'empêchent de parler créole. Quelques vingt ans plus tard, quand il revient à La Réunion et qu'il revoit sa mère, il se demande si c'est bien elle : « Quand on essaye de renouer les liens familiaux c'est impossible car il y a une cassure". Photo de gauche : Foyer de l'enfance à Guéret
Jean-Charles SERDAGNE Né de père inconnu, Jean-Charles a 5 ans quand il est enlevé à sa mère, au prétexte qu'elle fait des crises d'épilepsie, pour être placé au foyer Marie-Poittevin de La Réunion tenu par des religieuses. Jean-Charles portait le matricule 268 sous lequel il a été déclaré pupille de la Nation en 1963 avant même le décès de sa mère. Exilé ensuite dans la Creuse en 1966, à l'âge de 13 ans il est placé comme garçon de ferme dans une famille d'accueil d'exploitants agricoles pour « être mis au travail forcé » précise-t-il. A La Réunion, les services sociaux lui avait fait croire qu'ils l'envoyaient en métropole pour devenir, comme il le souhaitait, dessinateur industriel. Doué pour le dessin, son rêve était de devenir designer automobile, au lieu de quoi il travaillera pendant 20 ans comme maçon, puis 17 ans comme chauffeur routier. Jean-Charles attendra le début des années 2000 pour parler de son passé d'exilé et d'enfant maltraité à ses propres enfants. C'est seulement en 2009, qu'il retrouve sa famille biologique par l'intermédiaire d'un reportage diffusé à la télévision.
Anne DAVID Exilée en 1970 dans le Finistère à 18 mois. Anne pose ici avec Jeanne, sa mère adoptive, âgée de 80 ans (Bretagne, juillet 2017). Anne a été placée alors qu'elle n'avait que quelques mois à la pouponnière de la Providence de Saint-Denis de La Réunion. Elle y reste 2 ans et arrive en métropole en 1970 pour être adoptée par un couple de Bretons avec qui elle vivra une enfance heureuse bien que victime des remarques racistes des autres enfants durant sa scolarité. Ce n'est qu'en janvier 2017 qu'elle comprend, en regardant un documentaire à la télévision, qu'elle fait partie des Enfants dits « de la Creuse ». Sa mère adoptive est tout aussi choquée d'apprendre qu'Anne n'était pas orpheline quand elle et son mari l'ont adoptée. « Ce qui est bouleversant, dit-elle, c'est d'apprendre qu'on fait partie d'une programmation, qu'on a été bien éduqué à la pouponnière pour être envoyé en métropole ». Après avoir obtenu son dossier d'adoption auprès de la DDASS, elle découvre qu'elle fait partie d'une fratrie de 9 enfants. Sa mère biologique est, quant à elle, décédée en 2016. A son retour en aout 2017 à la Réunion, son frère biologique sera finalement le seul de sa fratrie avec qui elle aura des relations chaleureuses, sa demi-sÅ"ur n'ayant accepté de la voir que trente minutes tandis que les autres membres de sa fratrie et de sa famille plus éloignée n'ont pas voulu la rencontrer.
Sylvie ARCOS Exilée avec son frère en Bretagne en 1971 à l'âge de 3 ans dans une famille adoptive. Elle y subit des violences physiques, psychologiques et sexuelles de la part de son père adoptif mais également de sa mère adoptive. A l'âge de 31 ans, Sylvie apprend que, contrairement à ce qu'on lui avait dit jusqu'à présent, elle n'a pas été abandonnée à la naissance par sa mère. En 2014, elle découvre qu'elle fait partie des enfants dits « de la Creuse ». Quand elle apprend la vérité, elle traverse un nouvel épisode de dépression beaucoup plus sévère que par le passé. Depuis quelques années Sylvie s'efforce de comprendre ce qu'il s'est passé dans son enfance. Connaître la vérité, c'est finalement la chose la plus importante pour se relever de son passé traumatique. « C'est grâce au personnage de Sissy que j'ai créé que j'ai cette force pour me relever. Sissy, c'est la guerrière et Sylvie, c'est la petite fille en souffrance ».
Simon A-POI Exilé en 1966 à l'âge de 12 ans au foyer de l'enfance de Guéret. Il est ici particulièrement ému, quand lors de l'Assemblée générale de la FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des DROM ) en novembre 2017, il évoque l'époque où il a dû quitter « son île » avec ses frères et sÅ"urs. Sa mère est décédée, et c'est leur grand-mère qui les a envoyés en métropole. « On nous a volé notre enfance. Si je pouvais revenir en arrière, je n'aurais jamais quitté La Réunion ». En métropole, il travaillera pourtant pendant plus de 40 ans comme cuisinier à l'hôpital de Guéret et fondera une famille. Grâce au dispositif d'aide financière mis en place par l'ancienne Ministre des Outre-Mer Ericka Bareigts, il retourne à La Réunion en octobre 2017 et y retrouve plusieurs membres de sa fratrie.
Marie-Josée VIRAPIN Exilée en 1969, à l'âge de 11 ans dans le Gers. Déclarée orpheline et pupille de la Nation alors que son père et sa mère sont en vie, Marie-Jo est d'abord placée à 9 ans, au foyer Marie Poittevin de La Réunion en qualité de « recueillie temporaire », dans l'attente que sa famille ait les moyens de la prendre en charge. Mais, vivant dans la misère avec plusieurs enfants, aucun des membres de sa famille ne pourra s'occuper d'elle. Elle est alors envoyée à Saint-Clar, au Foyer de l'Aerium où elle passera 20 ans de sa vie : d'abord comme pensionnaire jusqu'à ses 18 ans puis comme éducatrice remplaçante. Elle rencontre ensuite le père de son fils et vient vivre en région parisienne. Pour les services sociaux, Marie-Jo avait une trop forte personnalité. Pendant son séjour à l'Aerium, elle est proposée à trois reprises à l'adoption. En vain. La première fois, elle a 12 ans, ses tuteurs la trouvent trop vieille. La deuxième fois, dans une famille alsacienne, elle est jugée caractérielle. Enfin, la troisième fois, en danger, c'est elle qui s'enfuit: le père de famille a eu des « gestes déplacés » à son égard. Depuis, Marie-Jo avait retrouvé à La Réunion son père et sa mère biologiques - aujourd'hui décédés - mais cela ne l'apaise pas pour autant. « Ce qui me désole le plus, dit-elle, c'est de savoir que j'avais encore des parents mais qu'à cause de cet exil forcé nous sommes devenus des étrangers les uns pour les autres ».
Marie-Jeanne BOYER Exilée dans la Creuse en 1966, à l'âge de 9 ans avec sa sÅ"ur ainée. La mère de Marie-Jeanne est morte du tétanos alors qu'elle a 9 mois, son père assassiné dans un règlement de compte. Les deux soeurs sont alors élevées à La Réunion par leur grand-mère et leur oncle. Mais un jour, Marie-Jeanne a 8 ans, sa sÅ"ur 12, quand elles sont enlevées par « deux hommes en uniforme » dans la rue à Cilaos, où elles vivent. Elles sont ensuite placées au foyer Notre-Dame des Neiges et un an plus tard, transférées en métropole, au foyer de l'enfance de Guéret. Là, un couple de personnes relativement âgées vient rapidement les chercher pour devenir leurs tuteurs pendant 4 ans. Ils ont déjà quatre enfants. Marie-Jeanne va à l'école primaire puis au collège tout en servant de « bonne à tout faire dans la maison ». Sa sÅ"ur est abusée presque tous les soirs par son tuteur. Elle se suicidera à l'âge de 48 ans. « On était des pions, de la marchandise, du bétail » résume Marie-Jeanne. Sur cette photo, on voit Marie-Jeanne dans un dancing de la région de Vichy. La danse de salon qu'elle pratique deux à trois fois par semaine est une véritable passion qui l'aide à avancer... Photo de gauche : Marie-Jeanne à 9 ans à son arrivée dans la Creuse (archives personnelles)