Récit en image et légendes autour du démantèlement du Service Public SNCF et de la mort du statut de cheminot.
Extraits de la lutte des cheminots de la Région Centre, printemps 2018.
© Yoan JÄGER-STHUL / Divergence
La SNCF est à présent découpée en Sociétés Anonymes. La S.A. « Réseau » qui porte l’infrastructure reste publique. C’est elle qui coûte le plus cher avec l’entretien du réseau ferroviaire, elle reste à la charge de l’État. « Gare et Connexion », filiale privatisée de la SA « Réseau » aux parts cessibles, porte quant à elle les gares. La rentabilité des gares a été évaluée pour n'en privilégier qu'une centaine sur tout le territoire. Certaines, moins rentables, pourront être vendues à des particuliers comme ce fut le cas à Reignac (37). La S.A. SCNF Logistique porte le fret (transport de marchandises) et comprend pour filiale Geodis et Keolis, opérateurs privés qui gèrent le transport public de Bordeaux, Lyon, Renne, Lille, ou Dijon. Les investisseurs privés profitent ainsi de toute l’infrastructure héritée d’années d’investissements publics et récupèrent de plus du personnel qui, lors de son transfert, n’a pas d’autre choix que de perdre le cadre du statut de cheminot ou d’être muté loin de son lieu de résidence. (image: locomotive en rénovation au technicentre SNCF de Saint-Pierre-des-Corps)
Un cheminot tend une torche de détresse vers les rails depuis le toit de la gare de triage des Aubrais. C'est grâce à ce type d'agrès de sécurité manuel que, lors de l'accident du 16 octobre 2019 pendant lequel tout l'avant d'un train de voyageur a été endommagé par une collision avec un convoi exceptionnel, le conducteur a pu éviter un deuxième accident. Blessé tout comme onze des ses passagers, le conducteur, alors seul personnel de son train, a dû courir sur les voies laissant les voyageurs sans surveillance afin d'alerter le conducteur du train de marchandises qui arrivait en sens inverse et menaçait de percuter le train de voyageurs accidenté.
1er janvier 2020: démantèlement du service public SNCF (collage réalisé sur la gare de Tours lors d'une mobilisation de cheminots)
Cheminot depuis 1974, aujourd'hui à la retraite, Patrick L. était déjà mobilisé en 1995. À l'époque, le statut tout comme le régime général était attaqué sur le volet des retraites. Depuis, les mobilisations se sont succédé et Patrick est toujours là... Le temps semble arrêté. En 2018, c'est l'ensemble du statut de cheminot qui voit sa fin annoncée et la nouvelle charge de la réforme des retraites pour le régime général ne se sera pas beaucoup fait attendre.
Depuis le 1er janvier 2020, plus aucun nouveau recrutement ne se fait sous le statut de cheminot. De ce fait, d'ici une quarantaine d'année, le statut de cheminot aura totalement disparu. Depuis plusieurs années, le détricotage du statut est déjà une réalité et certains nouveaux employés dits contractuels étaient déjà affiliés au régime général. Ils ne bénéficient pas de la protection liée au statut de cheminot en termes de sécurité de l'emploi, d'assurance maladie ou de retraite par exemple, malgré une pénibilité et des risques pourtant bien réels. Pour le même travail déjà en 2018, un conducteur contractuel ne pouvait prétendre à la retraite qu'à 62 ans contre 57 ans pour un cheminot bénéficiant du statut. (image: deux jeunes cheminot font une pause devant un morceau de wagon lors de l'occupation du technicentre de Saint-Pierre-des-Corps le 7 juin 2018)
Lors de la lutte de 2018 pour la défense du statut de cheminot et de la SNCF comme service public, un calendrier de deux jours de grève sur cinq a été proposé par l'intersyndicale, à l'initiative de la CGT. Cette tactique pensée comme un atout pour les travailleurs et travailleuses afin de perdre moins, tout en visant une mobilisation dans la durée, fut un moyen pour l'entreprise, les usagers et les entreprises concurrentes de s'organiser en minimisant l'impact de la grève. (image: les cheminots mobilisés investissent le technicentre de Saint-Pierre-des-Corps)
Malgré des revendications d'intérêt collectif centrées notamment sur la défense du service public et sur l'importance écologique du rail contre le transport routier, les cheminots se sont mobilisés seuls en 2018. La population regarda passer de loin ce mouvement social aux enjeux pourtant si larges. La représentation de cette grève, déformée par le prisme d'un individualisme galopant exacerbé par certains médias et membres du gouvernement, fut reçue dans l'opinion publique comme un moyen de défendre les intérêts propres des cheminots souvent taxés de privilégiés. (image: sur l'affiche d'une vitrine de magasin, un homme est assis sur un canapé. Comme en écho au fait que la population regarda passer ce mouvement social sans y prendre part, la manifestation se reflète sur la vitrine.)
La sécurité est un des fondements de l'identité des cheminots et le « droit de retrait » un levier pour dénoncer des conditions de travail qui se dégradent et mettent en péril usagers comme travailleurs. En octobre 2019, suite à un accident, de nombreux employés du rail ont mis en avant ce droit de retrait en dénonçant le principe d'« équipement agent seul » (EAS), qui concerne 75 % des TER, et où le conducteur est le seul salarié de la SNCF à bord. Les conducteurs refusant de reprendre le travail en exerçant leur droit de retrait ont alors été accusés par certains membres du gouvernement et par la direction de prendre les usagers en otage. Malgré des tentatives de sanction, la SNCF a récemment abandonné ses poursuites à leur égard. La baisse d'effectif sur certains postes à risque représente pour beaucoup un réel danger qui s'est illustré dans l'accident du 16 octobre. Ces conditions de travail jugées dangereuses sont le fruit d'une politique de rentabilité et de malléabilité des employés, politique qui sera d'autant plus effective une fois le statut de cheminot démantelé et la SNCF scindée en SA au sein desquelles les salariés seront de fait moins protégés. (image : "rame sous tension", gare de Tours le 09.04.18)
Un cheminot fait exploser une colone à pétard, lors d'une manifestation à Orléans (signal de détresse utilisé habituellement sur les rails, ici pour alerter la population sur la mort d'un service public), 7 juin 2018.
Brève occupation du poste de commande d'aiguillage de la gare des Aubrais lors d'une manifestation pour la préservation du statut de cheminot et contre le démantèlement de la SNCF. Suite au mouvement de 2018, la SNCF a tenté de prendre des mesures contre des salariés mobilisés. Conseils de discipline (« tapis vert ») , radiation des cadres, menace de sanctions lourdes en cas de blocage des voies... Les suites du mouvement ont été intenses pour certains et certaines. Ces mesures, souvent jugées abusives et dénoncées par les syndicats comme des tentatives d'intimidation portent pour autant leurs fruits. Plus aucun réel blocage de voie ou de poste d'aiguillage n'ont eu lieu depuis 1995.
Le 1er juillet 1998 entrait un vigueur une loi de 1993 libéralisant le cabotage, c'est-à-dire la possibilité pour une entreprise non résidente d'un pays membre de l'Union Européenne d'y effectuer des transports intérieurs. Le transport routier de marchandises était alors ouvert à un dumping social sans précédent et à une mise en concurrence toujours plus violente pour les travailleurs. Les 9 juillet 2015, c'est au tour de la « loi Macron » de libéraliser le transport routier de voyageurs cette fois, permettant aux entreprises du secteur de ne plus être limitées à leur tour par le cabotage. Les bus pouvaient dès lors librement remplacer les trains sur tout le territoire à des prix défiant toute concurrence, toujours au détriment des conditions de travail et de la sécurité des usagers comme des conducteurs. Aussi, véritables non-sens en terme d'écologie, ces mesures guidées par l'idéologie libérale ont été dénoncées massivement par les cheminots pour l'intérêt général lors des grèves de 2018. Alors que la France s'est engagée à réduire son empreinte carbone, le volume de transport de marchandises par le rail a quasiment été divisé par deux entre 2000 et 2014 (source SOeS, CCTN 2014). Il faut pourtant environ 50 camions pour remplacer un seul train de fret.
Après la mobilisation de 2018, le moral était au plus bas parmi les cheminots mobilisés. Beaucoup se sont dit qu'ils avaient perdu la dernière bataille et que l'économie libérale avait eu raison d'un des derniers vestiges de modèle de protection sociale français qui avait inspiré le programme du Conseil National de la Résistance en 1944 quand celui-ci a créé le régime général.
Gare de Saint-Pierre-Des-Corps, 18 avril 2018.
Lors du mouvement social de 2019 contre la nouvelle réforme des retraites, les cheminots ont tenté une nouvelle fois d'impulser un nouveau rapport de force et d'emporter avec eux l'ensemble des citoyens. Beaucoup se disent que c’était pour eux l’une des dernières luttes, d’autres répondent que c’est peut-être l’une des premières pour un changement global.