Ashotsk, une ville d'Arménie à quelques kilomètres des frontières turque et géorgienne. Comme un condensé de l'Arménie de ces dernières décennies...
6 Décembre 1988. La terre tremble à 50 km d'Ashotsk, au nord-ouest de l'Arménie. Il est 11H40. Monsieur Stéfésov était chauffeur. Derrière lui, les ruines toujours debouts d'un des nombreux immeubles évacués.
Le séisme, d'une magnitude de 7 sur l'échelle de Richter, fait 30000 victimes et plus de 500000 sans-abris. Gyumri, la deuxième ville du pays est détruite à 60 %. Ashotsk, à 25 kilomètres de là, n'est pas épargnée. Dans une rue de la ville, un immeuble évacué. Les ruines, omniprésentes, pèsent sur le quotidien des habitants.
Karen Abreyan, premier adjoint au maire d'Ashotsk. "ll y a eu 11 victimes et beaucoup de dégats. Tout le monde a été obligé d'abandonner son logement. Ils menaçaient de s'écrouler. Je travaillais en face de la mairie. Le sol faisait comme des vagues. Je n'arrivais plus à m'orienter..."
Sur la route principale, une maison évacuée. Souvent, le rez-de-chaussée des immeubles sert de lieu de stockage pour les anciens habitants. Malgré les risques d'effondrement.
Dans les mois qui suivent le tremblement de terre, l'aide d'urgence afflue dans la région. Même si la corruption et les tensions avec la République "soeur" d'Azerbaïdjan ralentissent les secours. De nombreux habitants sont alors relogés dans des "domiks", conteneurs de transport transformés en abris de fortune.
Sur la grande route qui mêne à la frontière géorgienne, Nelly, une ancienne professeure d'Allemand rentre des courses. Elle se plaint du vent, qui souffle sans cesse et fait baisser encore les températures pour parfois frôler -40°C certains jours d'hiver. Ashotsk est à 2200 mètres d'altitude, à 10 kilomètres des frontières turque et georgienne.
Anna a perdu son mari. Elle vit avec ses enfants, Arman et Vartuhi, dans un domik d'Ardénis, un village près d'Ashotsk. Son nouveau compagnon a 27 ans et une hernie. Il travaille dans une porcherie où il gagne 30000 Drams par mois (60 euros). Le salaire mensuel moyen était de 120000 Drams en Novembre 2012 selon le Service National de la Statistique. Il préfère habiter ici qu'à la ville." C'est plus dur mais moins cher." Il vient de Gyumri et a perdu 3 frères dans le tremblement de terre.
L'ancien cimetière d'Ashotsk, en centre-ville.
À Ashotsk, dans une usine désaffectée.
Les habitants viennent au bureau de poste, vestige de l'époque soviétique, pour percevoir les allocations familiales ou leur retraite. Les montants sont faibles, et leur perception nécessite patience, et parfois petits arrangements.
Micha a travaillé près de 60 ans. Aujourd'hui, il passe au bureau de poste pour toucher ses 100$ de pension. Il arrive parfois qu'un grand-père hospitalisé soit sorti de l'hôpital pour aller retirer son argent: dans de nombreuses familles, la pension des grands-parents est le seul revenu.
En 1989, la fin de l'URSS fait renaître les conflits territoriaux enfouis pendant l'époque soviétique entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan voisin. Entre 1988 et 1994, la guerre laisse près de 20000 morts et des centaines de miliers de déplacés des 2 côtés de la frontière. Dans certains endroits, les cimetières sont profanés. À Zorakert, un village près d'Ashotsk, le cimetière azéri, abandonné, n'a lui, pas été touché.
À Géghard, un des hauts-lieux de l'¢glise apostolique arménienne, un soldat de l'armée visite le monastère. Chaque garçon du pays part au service militaire pendant deux ans, de dix-huit à vingt ans.
L'hiver, les habitants d'Ashotsk et de sa région craignent les loups qui s'aventurent près de la ville, poussés pas la faim. Ici, un renard.
Financés par des ONG, les soins ont longtemps été gratuits à l'hôpital d'Ashotsk, ainsi que les repas et les nuits. Depuis peu, les adultes hospitalisés payent un prix modique pour les opérations et les consultations. Dans le reste du pays, seuls les enfants de moins de 7 ans, les militaires et la maternité sont pris en charge. Pour les autres, la question du prix des soins reste opaque. Dans le hall, un matin avant l'ouverture des consultations.
Aïda n'a pas de travail. Elle s'occupe de ses 7 enfants à la maison. Mariam, la dernière, a 4 mois. Outre le faible salaire de Vova, la famille n'a que l'aide humanitaire pour survivre.
Gayané est la voisine d'Aïda, elle travaille à l'hôpital. Haraïk, son mari, était ingénieur à l'époque soviétique. Il s'est reconverti comme professeur de sport et a réussi à construire sa maison. " Avec du temps et des difficultés". Il aurait voulu partir s'installer en Russie avec sa femme. Mais Rima ( sur la photographie), sa mère, est ici. Elle a 80 ans. Elle a perdu son mari Véliran au mois de mai dernier. Sur la table, du jus de cynorrhodon fabriqué par la famille. Au mois de Novembre, les caves de chaque maison doivent être pleines de conserves. Pour passer l'hiver.
Arminé a accompagné son fils Garik, 8 ans, opéré d'une hernie. Ils habitent près de Gyumri. Le mari travaille à Krasnodar, en Russie. Elle ne travaille pas. Décrocher le poste promis dans un jardin d'enfant lui aurait couté 2500 $. Des amis lui ont recommandé l'hôpital car ici, " on prend soin de vous et on écoute les patients". Garik est content, son père va passer ce soir. Il est revenu de Russie pour l'opération.
Le Docteur Vartanian, directeur médical de l'hôpital. Construit après le tremblement de terre par Caritas, l'établissement dispose de 100 lits. Sa réputation a largement dépassé la région. Outre le prix des soins, l'hôpital est très bien tenu et le personnel médical reconnu. Les arméniens de la Géorgie voisine viennent souvent s'y faire soigner.
Soeur Noëlle, une religieuse française, est arrivée dans la région il y a plus de 20 ans. Elle s'occupe de l'aide humanitaire et de la tenue générale de l'hôpital. Avec le Père Mario, un prêtre italien, elle a mis en place un système de parrainage pour les enfants les plus nécessiteux.
Dans un des hangars, une employée trie les dons reçus par l'hôpital. Les vêtements sont distribués aux habitants de la région. C'est pour beaucoup un des seuls moyen de s'habiller.
À gauche, la route pour Gyumri, puis Yérévan. Tout droit, la frontière turque à moins de 20 kilomètres. Elle est fermée, entravant les déplacements et le commerce. Enfin, à droite et à 8 kilomètres, la Géorgie. Puis la Russie.
À ce jour, l'exil saisonnier est la seule solution trouvée par de nombreux hommes, pour nourrir leur famille. Artak a passé 5 ans en Russie. "Je suis chauffeur pour la compagnie nationale d'éléctricité. C'est pas terrible mais mieux que la Russie. Je suis près de ma famille et c'est le plus important. " Il vit avec sa femme et leurs 2 enfants. La famille a 2 vaches, dont l'une sera mangée à Noël.
Lilith s'occupe de son fils Narek cet après-midi. Il est encore petit pour rejoindre sa soeur Hripsimé. Elle est au jardin d'enfants, qui vient de réouvrir. Lévon, le père, part parfois en Russie pour y trouver du travail. Il est à Ashotsk en ce moment. Ils ont eu un premier enfant gravement handicapé, mais il est décédé il y a plus de 3 ans. Il n'a pas survécu à une infection. Lilith pense souvent lui.
Sur la table pour le café, le chocolat vient de Russie.
Julieta et sa belle-fille Rousanna. Leur domik, après transformation, ressemble désormais à une maison. Cet après-midi, elles stockent les pains de atar ( bouse de vaches ) qui serviront à les chauffer cet hiver. Julieta est veuve. Le mari de Rousanna est lui aussi parti travailler en Russie. Le couple a 3 filles, et un fils au Karabagh qui sert sur la frontière en ce moment. Et il y a 2 jours ( le 1er Octobre 2014), un soldat arménien a été tué sur la frontière...
À Ashotsk, le raccordement au gaz coûte 200$ (160 €). L'argent gagné à l'étranger, ou envoyé par les expatriés, permet aux familles qui en bénéficient, d'améliorer le quotidien. En achetant par exemple, une vache ou un veau, ou en payant le raccordement. Le gaz ne servira cependant qu'à faire la cuisine. Se chauffer au atar est bien moins coûteux.
Jorik et son frère Hovo habitent à Garnarish. Le père des 2 garçons est parti en Russie cette année. Mais il a passé 2 mois en prison comme travailleur sans papier. Et n'a pas été payé par son employeur...
L'¢cole d'Art a réouvert il y a peu. Une centaine d'enfants est accueillie, pour 2000 Drams mensuels (4 €).
À la Maison de la Culture, où l'on trouve bibliothèque et ateliers de dessin et broderie, Shushan a gagné le Premier Prix du Concours d'aquarelle. Elle a 13 ans, et son dessin figure le génocide arménien. " Je m'appelle Shushan. Dans mon dessin, j'ai décrit... (Elle se reprend.) J'ai dédié mon dessin au génocide. J'ai peint un arbre qui représente l'Arménie, ses racines sont profondes dans la terre. Et les carnassiers représentent les Turcs, qui veulent déraciner l'arbre. Mais ils ont beau essayer encore et encore, ils n'arrivent pas, jamais, à le déraciner totalement. Les carnassiers sont les Turcs. Là, c'est le sang des victimes innocentes. Et les Arméniens ont installé sur l'arbre leur nid paisible, leur berceau. "
Les filles de la classe de 12ème ont une quinzaine d'année. Elles auront bientôt un cours d'instruction militaire, où garçons et filles apprendront notamment à se servir d'une Kalachnikov.
Kariné Katchatrian donne les cours d'Histoire Religieuse de l'¢glise Arménienne. Les enfants y étudient les textes religieux et apprennent les prières.
Charmar se rend souvent à la chapelle toute proche depuis quelque temps. Elle tient un petit commerce à la sortie d'Ashotsk, sur la route de Géorgie. Elle y vend quelques produits pour survivre et écrit de nombreux poèmes.
Knarik est la fille de Charmar. Elle va avoir 17 ans et elle aussi aime la poésie. Son parrainage a permis à la mère et la fille de survivre. Elle est partie il y a peu pour Gyumri. Elle y poursuit ses études et est logée chez les religieuses de la communauté de l'Immaculée Conception. Elle pense les rejoindre plus tard.
Nazéli a 12 ans et rentre de l'école. Elle a ses devoirs à faire. À l'issue de leurs études secondaires, de nombreuses filles arrêtent leur scolarité pour se marier et fonder une famille. La poursuite d'études est un luxe sans aide humanitaire.
À la sortie d'Ashotsk, une quinzaine de jeunes se retrouvent chaque soir. Artur et sa femme Alla, anciens champions internationaux de ski de fond, les font transpirer. Faute d'altères, l'entrainement se fait avec des pierres. Comme un condensé de l'Arménie de ces dernières décennies...